RÉSUMÉ : Pour la première fois de son histoire, la Cour pénale internationale est confrontée à une affaire fondée non pas sur des éléments constitutifs des crimes internationaux les plus graves relevant de sa compétence (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide et crimes d’agression), mais sur des éléments constitutifs d’atteintes à l’administration de la justice : faux témoignages, production d’éléments de preuve faux ou falsifiés et subornation des témoins. L’affaire Bemba Gombo et al. pose les jalons de la protection de l’administration de la justice devant la Cour pénale internationale et suscite l’intérêt tant sur les aspects procéduraux que sur les aspects matériels. AVERTISSEMENT : le texte ci-dessous est un extrait du document mieux référencé en bas.
(…) Le verdict tombe le 19 octobre 201613 : la Chambre de première instance VII juge les cinq accusés coupables d’atteintes à l’administration de la justice auxquelles ont participé 14 personnes qui ont témoigné en faveur de la Défense lors de l’affaire Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo. La Chambre conclut en l’existence de motifs substantiels de croire, au regard des preuves à charge, que les cinq accusés avaient commis des infractions de subornation de témoins (article 70-1-c du Statut), de production d’éléments de preuve faux (article 70-1-b du Statut), et de faux témoignage (article 70-1-a du Statut) portant atteinte à l’intégrité et à l’efficacité des procédures devant la Cour (…)
L’appréciation des infractions : le contour des atteintes à l’administration de la justice
Contrairement aux Statuts des Tribunaux pénaux internationaux (ci-après « TPI »), le Statut de Rome prévoit une réglementation spécifique relative aux infractions constitutives d’atteintes à l’administration de la justice. L’article 70 du Statut incrimine spécifiquement tous les actes et comportements qui seraient « de nature à fausser le procès, et à menacer ainsi l’autorité et la crédibilité de l’institution ». On dénombre six infractions à l’administration ainsi prévues à l’article 70 : le faux témoignage, la production d’éléments de preuve faux ou falsifiés, la subornation de témoins, l’intimidation d’un membre ou agent de la Cour, les représailles contre un membre ou agent de la Cour, et enfin la sollicitation ou l’acceptation d’une rétribution illégale par un membre ou agent de la Cour dans ses fonctions officielles. Ces atteintes à l’administration de la justice visent toutes les personnes en relation avec la CPI, c’est-à-dire tant les membres et agents de la Cour (Procureur, Greffier, juges) que les accusés, leurs conseils, les témoins et les experts.
Les trois premières infractions prévues par l’article 70 concernent donc les témoins. Le témoignage occupant une place fondamentale dans la procédure pénale internationale, il n’est pas étonnant que les rédacteurs du Statut de Rome aient voulu assurer leur véracité et protéger leur intégrité. Ces trois premières infractions sont substantiellement liées à l’article 69-1 du Statut qui prévoit qu’« avant de déposer, chaque témoin, conformément au Règlement de procédure et de preuve, prend l’engagement de dire la vérité ».
Pour autant, ces infractions ne sont pas définies par le Statut. Si des éclairages sur les éléments constitutifs de ces infractions ont pu être obtenus par la voie prétorienne dans la jurisprudence des TPI – et notamment celle du TPIY où elles occupent une place à part entière, palliant les insuffisances du Statut – l’affaire Bemba Gombo et al. permet d’affiner les contours de ces infractions et leur interprétation par les juges de la CPI. Les enjeux sont importants : il s’agit pour la CPI de faire respecter sa procédure, et d’assurer par ce moyen la crédibilité de ses décisions et le respect de son autorité.
Concernant tout d’abord l’infraction de faux témoignage (art. 70-1 (a) du Statut), la Chambre de première instance VII estime qu’elle est commise lorsqu’un témoin affirme intentionnellement un fait faux ou nie un fait réel lorsqu’il est sollicité. Il en va de même si le témoin n’est pas directement sollicité mais retient intentionnellement des informations. La chambre rejette ainsi l’argument de la Défense de Narcisse Arido prétendant que l’article 70-1 (a) du Statut ne vise que les actions « positives » des témoins et ne couvre par les actions « négatives » de privation d’information, estimant que le faux témoignage ne suggère pas une lecture aussi limitée – les omissions faisant partie intégrante du témoignage. Elle ajoute que seules seront retenues les informations « substantielle [material] », c’est-à-dire « toute information ayant une incidence sur l’évaluation des faits pertinents à l’affaire ou sur l’évaluation de la crédibilité des témoins ». La Chambre restreint ainsi l’interprétation particulièrement large donnée par la Chambre préliminaire II dans la même affaire qui considérait que « l’obligation de dire la vérité s’applique à tout type d’information qu’une personne livre ou tait alors qu’elle témoigne sous serment »
Concernant ensuite l’infraction de production d’éléments de preuve faux ou falsifiés (art. 70-1 (b) du Statut), la Chambre estime qu’elle vise bien entendu les accusés, mais aussi l’Accusation et la Défense c’est-à-dire tous les membres de leurs équipes respectives, dont elle évalue le rôle réel dans les circonstances de l’affaire. L’élément sera considéré comme « produit » dès lors qu’il est versé aux débats, indépendamment du fait de savoir si la preuve est admissible. La Chambre de première instance confirme cette fois l’interprétation donnée par la Chambre préliminaire II en ce que le terme « élément de preuve » englobe tout type de preuves y compris les témoignages. La Chambre estime enfin que l’auteur doit avoir intentionnellement présenté des preuves fausses ou falsifiées, ce qui implique que l’auteur sache que son action constitue les éléments matériels de l’infraction, et avant toute chose qu’il sache et qu’il soit conscient que la preuve est fausse ou falsifiée.
Concernant enfin l’infraction de subornation de témoins (art. 70-1 (c) du Statut), la Chambre examine l’intention de l’auteur de procéder à l’exercice d’une « influence corruptrice sur un témoin [corruptly influencing a witness] ». Cette influence corruptrice peut s’exercer soit par le fait de soudoyer des témoins en leur donnant de l’argent, des biens ou tout autre forme de récompense, soit par des pressions, des menaces ou toute autre forme d’intimidation en vue de pervertir le témoignage.
Manon Dosen, « Subornation des témoins et autres atteintes à l’administration de la justice devant la CPI (Retour sur l’affaire Bemba Gombo) », In la Revue des Droits de l’Homme, Cour pénale internationale (CPI), Avril 2017